Ce week-end avait lieu le festival Des bretzels & des jeux, à Strasbourg. Étant le « régional de l’étape », j’étais bien décidé à y aller, à tester plein de jeux, à prendre des notes d’une main tout en tenant mon sandwich / ma bretzel dans l’autre comme je l’avais fait l’an dernier (voir ici et là). Mais, et c’est un fait établi, aucun plan ne résiste au contact du passé de la réalité !
Ce samedi matin, j’attendais devant les barrières, impatient et bien équipé : 2 litres d’eau pour résister aux 35 °C ressentis à l’ombre annoncés, un support d’écriture, un bloc-note, mon carnet dans lequel je prends des notes sur les jeux que je découvre. Prêt, donc, à arpenter, à regarder, à tester, à noter, à recommencer lors du off, à brandir les notes prises sur tous les jeux découverts depuis début 2018 … et éventuellement à profiter de la fraîcheur de la nuit pour commencer la retranscription.
Sauf que ce n’est absolument pas ce qui s’est passé !
Après une petite balade sans but, je vais sur le stand de Bombyx où Bruno Cathala explique Abyss conspiracy (anciennement nommé « abyss pocket »). A l’issue de cette partie que j’ai suivie partiellement, j’en effectue une moi-même. Les règles sont simples, suffisamment pour que je me dise que j’aurais pu les expliquer moi-même après avoir regardé une partie.
Illustration d’Abyss, Abyss conspiracy n’a pas encore ses graphismes définitifs (voir plus bas)
La présentation du jeu sur le salon laisse une impression bizarre : sur la table (apparemment pas sur toutes les autres) sont disposés 4 tapis de jeux qui matérialisent parfaitement la pyramide de cartes qu’on essaie de réaliser et les conditions de gain de points de victoire … mais qui occupent également pas mal de place ! Ces tapis de jeux, très pratiques pour l’explication des règles, donnent l’impression d’un jeu qui occupe une surface non-négligeable alors qu’en fait, il sera vendu dans une boîte du même format que celle de Noé.
En plus de ça, le prototype est magnifique, avec des illustrations et des symboles tous issus de son « grand frère » (à première vue), mais compte-tenu du format et de la disposition des informations sur les cartes, le résultat est difficilement lisible. Bien évidemment, l’éditeur réglera ce problème lors du développement mais je regrette ce que je perçois comme un choix de l’esthétique au détriment de la lisibilité. J’ai également un doute sur la volonté d’avoir un unique compteur de perles détenues par les joueurs plutôt qu’un compteur par joueur, mais après une poignée de parties, la mise à jour du compte ne devrait pas poser de problèmes aux joueurs.
Au final, j’ai quand même trouvé que cet exemplaire du prototype est réussi sur 2 plans : le rappel de son statut de « jeu dans l’univers de » et la facilité pour un novice à visualiser le déroulement du jeu (indication des emplacements de cartes et rappel des conditions de gain de points de victoire), mais échoue à indiquer qu’il s’agit d’un « petit jeu » dans sa présentation (sans jugement sur la qualité du jeu lui-même).
Concernant les règles (parce que c’est quand même ce qui importe le plus !) : chaque joueur essaie de former une pyramide inversée (de 5 cartes sur la 1ère ligne à une seule sur la dernière) avec les cartes seigneurs de sorte à avoir :
- un groupe contigu de seigneurs de la même couleur (3 points par carte dans le groupe),
- des seigneurs avec la plus haute valeur possible dans les 5 familles/couleurs (pour chaque couleur autant de points que le numéro du seigneur de plus forte valeur),
- des lieux (points fixes ou variables selon les lieux),
- la carte « maître des perles » (5 points).
A chaque tour, un joueur doit soit piocher 1-3 carte(s) seigneur(s) et en placer une dans sa pyramide (qui se remplit dans le sens de la lecture) et défausser les autres (une défausse par couleur), soit prendre et placer toutes les cartes d’une défausse. Ensuite, on vérifie si le nombre de perles dans le tableau du joueur égale celui du maître des perles (dans ce cas il devient le maître des perles), on vérifie si un seigneur posé est le plus fort de sa famille présent dans le tableau (on utilise un jeton pour l’indiquer et faciliter le décompte final) et si un seigneur permet de réaliser une série de 2 clés de la même couleur (2 couleurs différentes présentes dans le jeu) ou de 3 clés, ce qui permet de gagner un lieu (un visible ou un parmi les 1-3 premier(s) de la pioche, les autres devenant disponible). Placer un seigneur de valeur 6 fait défausser le premier seigneur de la pioche et en placer un de valeur 0 permet d’échanger 2 seigneurs sans clé de son tableau. La pose de la 15ème carte dans un tableau marque la fin de la partie (chaque autre joueur effectue un dernier tour, de mémoire).
Deuxième jeu testé le samedi : Ganymede.
Je suppose que le jeu n’est plus à présenter. En tout cas, les règles ont déjà été expliquées ici.
Après avoir suivi un moment une partie en cours, je me fais expliquer les règles et joue à 3 joueurs. La partie est agréable mais j’échoue à réaliser des combos et, a priori, utilise trop fréquemment le déplacement de meeples au détriment de leur gain. Je me retrouve donc la tête dans le guidon (ou plutôt le tableau), cherchant désespéramment à me rattraper ce qui m’empêche de voir qu’un joueur réalise une échappée et met rapidement fin à la partie (et gagne). J’espère prochainement y rejouer pour faire l’expérience d’une partie plus « standard » maintenant que je sais ce qu’il ne faut pas faire.
L’illustration de la boîte
Je profite que je suis sur le stand pour tester Nine, une amélioration de Koryŏ avec des illustrations et une iconographie issues de l’univers d’Immortal 8. On retrouve les principes de Koryŏ : cartes numérotées de 1 à 9, numéro correspondant à la quantité de cartes dans le deck, pouvoirs détenus par le joueur ayant la majorité de cartes d’un numéro, séquence pioche-choix-pose-résolution-réduction du tableau, diminution de la quantité de cartes piochées et augmentation de la quantité de cartes conservées, et – tentative – de déterminer les valeurs dans lesquelles jouer plusieurs cartes afin de contester une majorité.
Je n’ai joué à Koryŏ quasiment que par l’intermédiaire de Boardgame arena, avec indication des majorités et rappel des effets au survol des jetons avec le curseur. Avec les composants physiques, il est logiquement plus facile de rater un effet, d’autant plus que Nine est plus technique et propose plus que Koryŏ (mais je serais bien incapable de faire une liste détaillée des différences).
En me baladant je croise 2 amis, nous rejoignons 2 personnes à une table et essayons de nous faire expliquer Mû. Malheureusement, la bénévole présente n’avait bénéficié que d’une explication rapide du jeu, ne s’attendait pas à devoir l’expliquer et, par conséquent n’a pas été en mesure de nous l’expliquer correctement.
Nous continuons notre balade et trouvons une table vide avec un exemplaire de Clank dans l’espace installé et, déçus d’avoir ratés le tournoi de Clank, mes amis vont chercher une personne à qui demander un rappel (pour eux) et une explication (pour moi) des différences par rapport à Clank. J’apprécie la volonté de proposer plus de possibilités de combo que dans son prédécesseur et la présence de factions mais je trouve le jeu un poil long et bien moins lisible.
Passé 16h, l’un de mes 2 compères suggère qu’on parte pour aller en vitesse à la médiathèque Malraux jouer à Projet Gaïa qui nous emballe largement plus que ce qu’on a vu au festival.
La couverture (en anglais)
N’ayant pas réussi à discuter avec quelques personnes avec qui je n’avais communiqué jusque là que sur Twitter, je reviens quand même le lendemain, quasiment à l’ouverture.
La couverture (peut-être non définitive)
Je passe au stand de La Boîte de jeu et suit une explication et une manche (sur 4) de It’s a wonderful world. Le jeu semble intéressant, notamment en raison de la nécessité de choisir parmi les cartes draftées lesquelles garder (pour les construire) et lesquelles recycler (en échange de ressources) et en raison de l’ordre de production qui va nécessiter une réflexion sur la façon d’optimiser l’ordre d’attribution des ressources aux bâtiments en cours de construction (un bâtiment construit lors de l’étape de production n pourra produire lors de l’étape de production n+1 si la nature de sa production correspond). Par contre le jeu me laisse une impression mitigée : est-ce du « familial » ? Est-ce du « familial + » ? Est-ce que ça me semble attractif parce que je n’y ai jamais joué ? Le jeu peut-il m’offrir plus de 5 parties intéressantes ? Et surtout, est-ce que je trouverai une poignée de personnes avec qui jouer régulièrement ! Comme on dit : « chat échaudé craint l’eau froide » !
Une fois rentré chez moi, je me lance donc à la recherche de la page du projet sur Kickstarter afin de glaner quelques informations supplémentaires … et réalise que la campagne est déjà terminée ! Je n’avais donc visiblement pas été assez attiré pour mettre en place une alerte des 48 dernières heures ou, plus probablement, j’ai supprimé le mail d’alerte sans retourner sur la page du projet. De toute façon, le jeu finira bien en boutique ! Bref, après sa réception (en février 2020) par les participants à la campagne de financement et quelques mois pour collecter les retours, il sera sur ma liste de jeux à considérer au printemps 2020.
La boîte du jeu (sorti cette semaine)
Au final, le plus plaisant lors du festival (en dehors de mon « escapade » du samedi pour jouer à Projet Gaïa bien sûr), 3 conversations : avec Matthieu Verdier (développeur chez Sorry We Are French), avec Christophe d’Oka Luda (avec qui j’avais discuté le jeudi au Philibar lors de la présentation de Kami et de Poule poule), et avec Blanche. Trois occasions de parler jeux et édition de façon générale, plutôt que d’un jeu en particulier.
Au cours de ce week-end j’ai également croisé ou vu de loin, en vrac (et sauf confusion de ma part) : le dessinateur Pierô (Ghost stories, et plein d’autres), l’auteur Hervé Rigal (Shakespeare, Nētā-Tanka), l’éditeur Raph (Igiari), l’éditeur Alexis Anne (Aurora), le podcasteur Ddschutz (Proxi-jeux) et probablement plein d’autres.
Et donc, mon bilan personnel ?
Le groupe de podcasteurs/critiques de jeux Heavy Cardboard avait établi une échelle de notation des jeux en 6 paliers, du 1 pour « Jetez-le au feu. Le problème ne vient pas de moi mais du jeu » au 6 pour « Mur de la célébrité, vraiment spécial. Tout simplement ». Ce festival et, je le suppose, tous les festivals dédiés à la présentation des nouveautés est donc un 3/6 pour moi : « c’est pas toi, c’est moi. Je vois l’intérêt de ce festival, mais ce n’est clairement pas pour moi ».
Et c’est là qu’intervient le titre de cet article !
Je suppose que plusieurs personnes, indépendamment ou successivement, ont développé ce concept d’étapes dans la vie d’un joueur, au fil des découvertes, des émerveillements et des déceptions. Pour cet article, je cite les « 8 étapes d’un joueur de jeux de société » de Jaie Demaagd, à savoir :
- l’ignorance complète : vous ne connaissez que le Monopoly, le Uno, et autres titres vendus en masse en supermarchés,
- la découverte : on vous a fait découvrir les « jeux de société modernes », vous réalisez qu’il en existe des milliers et commencez à glaner des informations en ligne,
- les débuts : vous réalisez qu’il y a des styles de jeux (« à l’européenne » / « à l’américaine »), regardez des vidéos-critiques,
- la folie : vous pensiez tester quelques jeux mais avez maintenant dépensé beaucoup d’argent (notamment pour des achats impulsifs) dans ce que vous considérez désormais comme une passion, avez vos chaînes ludiques préférés et mettez des jeux sur les listes de cadeaux que vous donnez à vos amis,
- le franchissement de la limite : vous ne pouvez plus rejouer à vos jeux parce que vous en avez trop, une campagne demanderait un engagement trop important, et la planification des jeux auxquels jouer est une activité à part entière,
- la réalisation : soit la réalité refait surface, soit vous êtes ruiné. Vous réalisez qu’il est difficile de trouver le temps et les joueurs au rythme auquel vous achetez, et que vous n’avez pas besoin d’essayer d’acquérir tous les jeux,
- l’acceptation : vous acceptez que vous serez un joueur toute votre vie, votre famille est au courant, vous commencez à retirer des jeux de votre ludothèque, vous savez que vous ne souhaitez plus jouer à tous les jeux mais désirez rejouer régulièrement à une poignée,
- l’accès au rang de « gourou » : vous avez joué à des milliers de jeux, avez réalisé que les différents groupes de joueurs ont différentes dynamiques, vous êtes désormais conscient des mécaniques que vous appréciez. Vous n’êtes pas forcément activement un promoteur des jeux mais êtes prêt à partager vos opinions dès qu’on vous les demande.
Cette progression est, selon moi assez représentative du cheminement d’une bonne partie des joueurs « aguerris » (étapes 4 à 8). Et c’est justement ce qui explique pourquoi le festival ne m’a pas particulièrement emballé et pourquoi les articles/podcasts/vidéos sur cet événement faits par d’autre évoqueront plus d’une dizaine de jeux, et pas seulement une poignée : je sais quels types de jeux j’aime, j’ai une liste longue comme le bras de « gros jeux » que j’ai l’impression de n’avoir que survolés, et j’identifie assez bien la poignée de chaînes/podcasts/sites et la dizaine de joueurs qui vont me fournir les informations dont j’ai besoin pour savoir si je veux essayer/acheter un jeu.
Passer un week-end dans un festival à aller de stand en stand voir toutes les nouveautés n’est visiblement plus une démarche qui me convient : trop de choses à voir à la fois, trop de piétinement sur place, trop de temps passé à attendre qu’une nouvelle partie soit lancée, et trop de jeux pas assez joués à domicile pour avoir envie de me précipiter sur une nouveauté … Je pense que je serais bien plus intéressé par un événement prévu pour jouer des jeux, récents ou plus anciens.
Du coup pour les autres événements et l’année prochaine ? La recherche (voire l’organisation) de petits événements pour jouer à des jeux déjà connus par une partie des joueurs, la consultation de quelques médias et l’écoute de joueurs dont je connais les goûts, les déplacements aux soirées de présentation locales (habitant à Strasbourg, ça ne sera pas difficile) et l’attente des retours des premiers acheteurs.
P.S : je n’ai toujours pas acheté de bretzel sur place … (mais j’ai apprécié celle du Philibar plus tôt dans la semaine)
Merci d’être passé nous voir et d’avoir testé Conspiracy (Abyss) !:D
Pas d’inquiétude à avoir pour la lisibilité des infos sur les cartes : nous travaillons actuellement sur ces éléments et cela ne devrait pas poser de souci au final 😉
Merci d’être passé nous voir et d’avoir testé Conspiracy (Abyss) !:D
Pas d’inquiétude à avoir pour la lisibilité des infos sur les cartes : nous travaillons actuellement sur ces éléments et cela ne devrait pas poser de souci au final
Entre le début et la fin de la rédaction de l’article vous avez mis la vidéo de présentation en ligne, parce qu’avant ça je n’avais pas trouvé d’information sur les graphismes et la présentation définitive.
« Passer un week-end dans un festival à aller de stand en stand voir toutes les nouveautés n’est visiblement plus une démarche qui me convient : trop de choses à voir à la fois, trop de piétinement sur place, trop de temps passé à attendre qu’une nouvelle partie soit lancée, et trop de jeux pas assez joués à domicile pour avoir envie de me précipiter sur une nouveauté… »
J’avoue partager complètement ton point de vue, j’ai arrêté à une époque les festivals car je ne trouvais pas cela efficace. Depuis, j’essaye quand de me « forcer » lorsque cela passe dans ma région proche car on peut faire de belles découvertes quand même et l’ambiance est généralement agréable. Cela me permet aussi de jouer à des jeux que je n’aurai pas l’occasion de jouer tout en sachant que cela ne me correspond pas trop. Bref, j’y vais maintenant sans objectif, je me laisse porter par le courant.
Oui, donner rendez-vous à des gens avec qui je discute en général en ligne, leur demander s’ils ont repéré 2-3 jeux intéressants et éventuellement les rejoindre dans leur partie ça m’intéresse bien plus qu’essayer de tout voir/tester.
C’est tellement vrai ces étapes !
J’en suis à la 7 après un passage difficile en mode traversée du désert (quasiment 0 jeux pendant plus d’un an avec l’arrivée du fiston qui nécessite « un peu » de temps :p).
L’euphorie de la découverte des jeux modernes il y a environ 10 ans a laissé place à la sagesse et le plaisir de la découverte par picorage.
Plus de financements participatifs ou alors vraiment très ciblés (7th Continent), encore quelques achats impulsifs mais sur des faibles prix après avoir eu des retours positifs sur les jeux, et encore quelques participations à des festivals quand l’occasion se présente.
Par contre, grosse envie de se retrouver entre joueurs sur de plus longues périodes (week-end, semaine) à échanger, sans forcément avoir pour objectif d’optimiser son temps de jeu.
Bon la quarantaine approche, c’est peut-être lié aussi 😉
Ah ouais donc là j’en suis à l’étape 9: devenir chroniqueur et activement refuser des parties en fonction de la mécanique proposée ou des joueurs présents à la tablen, demandant activement à rejouer aux références plutôt qu’à des nouveautés qui font la même chose, en plus graphiquement distrayant mais pas en mieux 🙂
Oui, je pense que bientôt il m’arrivera de dire à des amis « désolé je ne peux pas venir jouer avec vous : je dois faire quelques parties en solo pour préparer mon prochain article ».
Par contre, aucune des quelques personnes avec qui je joue régulièrement n’est du genre à toujours se jeter sur la dernière sortie, c’est déjà ça !