Fuji : Dans la collection des incroyables histoires d’ El Stefano

Fuji, des vacances au chaud

 

CHAPITRE UN : Le pari

Paris, Moulin Rouge, 1937

 

L’ambiance mondiale puait le souffre à cette époque là. On ne savait pas de quoi demain serait fait mais les remous du côté de l’Allemagne, remous et relents devrais-je dire, n’auguraient rien de bon.

Il y avait eu aussi les évènements de 1936. Le peuple soulevé avait retourné la France et moins d’un an plus tard on en ressentait encore les secousses. Quelques cicatrices ça et là.

Les quatre amis que nous étions s’étaient retrouvé au Moulin Rouge pour un diner de qualité. Surtout pour boire des canons et faire la fête. On en avait tous besoin. Trop longtemps l’actualité avait oblitérée nos vies. Le temps venait de souffler un peu. L’argent s’apprétait à couler à flots.

A la table il y avait Kurt Von Krach.

 

Un allemand. Mais fallait pas lui parler de ces salops de nazis. Çà le foutait dans une rogne excessive.

« Ces chiens sont entrain de détruire mon pays. Faut les égorger ! »

Il vivait en France depuis maintenant 8 ans et attendait avec impatience sa naturalisation. Riche héritier d’une noble famille de Bavière il avait monté une usine de textile qui marchait du feu de dieu, qui l’enrichissait un peu plus.

C’était un véritable ami, un de ces rares types sur qui on peut compter. En dépit de son visage toujours grave et sérieux sommeillait en lui un véritable noceur, charmant et plein d’humour.

A sa gauche, la ténébreuse Hiromi.

 

Originaire de et vivant à Hong Kong, elle passait plus de temps ici que là-bas. Elle était négociante en tout avec une spécialité pour les œuvres d’art. Elle pouvait acheter n’importe quoi et le revendre à n’importe qui 3 fois plus cher. En dépit de son air taciturne c’était une véritable machiner à entourlouper, un intarissable moulin à paroles.

J’adorais cette fille. On s’était rencontré sur une vente qui avait tourné à son avantage. On aurait pu se fâcher… A la place nous avons fait l’amour pendant 2 jours d’affilée. On s’est quitté amis.

Venait ensuite l’incroyable Lady Livingstone.

La classe à l’état pur. Le style à son apogée. Elle bougeait avec grâce, vivait avec grâce. Mais sous ce petit minois fragile se cachait une arme de guerre. Qui aurait imaginé en la voyant qu’elle était garde du corps ?

Moi je l’avais vu se battre une fois contre trois types de la rue qui en voulaient à sa dignité. Je n’avais pas eu le temps d’ouvrir la bouche que les gars gisaient par terre, en sang, un avec un bras pété, un autre avec un appareil génital inutilisable pour les trois prochains mois. D’un coup sec de la main elle avait refait le pli de sa jupe longue et avait continuait sa route comme si de rien n’était.

Enfin j’étais là aussi, à cette table amicale. Moi, Iain Jones déjà bien ivre. Le Iain Jones au service du Ministère de l’intérieur français. Je n’en dirais pas plus je pourrais vous mettre en fâcheuse situation.

Nous voilà donc quatre amis à boire des coups, imaginer avec angoisse le monde de demain, puis passer à autre chose, se marrer comme des otaries, boire d’autres coups. Et cet enfoiré de Krach qui picole comme dix sans jamais s’effondrer. Une éponge vous dis-je. Le voilà qui recommande en plus son troisième dessert. Un ventre, un foie, un poumon le Krach.

« Tu devrais te calmer un peu Krach. Entre l’alcool, la bouffe et tes cigares gros comme mon bras tu ne passeras pas les 45 ans ! » Lui lançais je entre humour et avertissement.

« Que tu crois ! Je suis plus solide que toi. Tu t’es vu avec tes 50 kilos mouillé ! Même tes cigarettes sont maigres. Je pourrais te briser entre mon pouce et mon index sans le moindre effort.»

Hiromi éclata de son petit rire sec.

«ça y est les mâles entrent action. »

« Non sérieusement Kurt. Un de ces quatre tu vas te péter la pendule et rester sur le carreau. »

En forme de défi Krach s’alluma un de ses gros cigares et me souffla la fumée dessus. Il pointa son index sur moi.

« 100 000 que je suis plus balèze que toi ! »

« Balèze en quoi ? Tu ne pourrais pas courir un 50 mètres. » Lui rétorquais-je piqué au vif

« Sur la durée je te pulvérise. J’suis increvable.»

« Tu proposes quoi ? » m’inquiétais-je.

Il plissa les yeux. La graisse de ses joues remontait sur ses paupières.

C’est à ce moment que la Lady prit la parole. Elle parlait toujours à propos.

« Moi je sais. On va tous participer. Comme ça avec Hiromi on vous surveillera et en plus vous allez nous payer le voyage. »

« Vous ne vous refusez rien ! » répondis-je.

« Vous n’allez rien nous refuser. » Rajouta-t-elle impérieuse. « Alors voilà. On va se casser au japon, cet été, ça nous laisse deux moins pour tout préparer. On va se faire l’ascension du mont Fuji. 3776 mètres. Ce n’est rien ! Une petite balade. On verra lequel des deux arrive en premier : la brindille ou le pilier ! »

« Validé pour moi. Un séjour avec ces deux gugusses et à leur frais ça ne se refuse pas. » Décocha Hiromi.

Les deux malines venaient de nous prendre à notre propre fierté toute masculine.

« Validé !» lâcha Von Krach.

Je n’avais plus trop le choix.

« Tu ne sais pas dans quoi tu t’engages avec ces deux nanas. Ça va nous coûter bonbon. Enfin… Validé… » Grognais-je.

Je n’aime pas marcher pour tout vous dire. Quoi de plus ennuyeux qu’une randonnée.

« Voilà donc nos vacances organisées messieurs. A vos frais. »

Nous éclatâmes tous de rires.

« Ôtez moi d’un doute, le Huji ce n’est pas un volcan ? » demanda judicieusement Von Krach.

« D’abord c’est le Fuji. Ensuite ce n’est qu’un volcan éteint. Je crois que sa dernière irruption date de quelque chose dans les 1700. T’as pas à t’inquiéter. Tes gros cigares font plus de fumée que lui ; » répondit Hiromi.

 

CHAPITRE DEUX : les préparatifs

Japon, côte sud de l’île de Honshū, été 1937

 

Nous avions tous tenus paroles. En ce début juillet nous nous tenions au pied du Mont Fuji qui nous dominait de sa toute-puissance naturelle et rocailleuse.

6 heures du matin. A notre approche les grues s’envolaient avec indolence. Il faisait déjà chaud, les cerisiers étaient en fleur et le ciel dégagé. Un rêve. Si ce n‘est qu’il allait falloir marcher plusieurs heures…

 

Nous avions profité pendant 3 jours de l’accueil sans reproche de la famille Hitoshi, des amis de notre chère Hiromi. Nous en avions aussi profité pour organiser nos sacs à dos, vérifier notre matériel et établir les rôles de chacun.

 

 

De la jumelle à la boussole nous avions pris le minimum mais surtout le nécessaire en cas de souci de santé ou autre sur le trajet. Même si cette ascension n’était pas le périple de l’année, j’avais insisté pour être si ce n’est prudent à minima raisonnable. Lady Livingstone n’insista pas trop pour qu’on lui laisse la machette. Nous savions tous que c’était la personne la plus adaptée à s’en servir. Von Krach insista pour prendre le briquet car il ne comptait pas renoncer même à plus de 3000 d’altitude à son gros cigare.

« Je vais vous le faire fumer moi votre volcan éteint ! » avait-il blagué en appuyant fortement sur son accent germanique.

C’est au deuxième soir chez les Hitoshi, juste après avoir fini une bouteille de saké artisanal dont je n’oublierai jamais la saveur que nous nous amusâmes à répartir les rôles. Là encore ce fut une belle tranche de rigolage qui scellait un peu plus notre amitié quadripartite.

Je serais « le camarade » (une boutade parce que je soutenais à cette époque les communistes.)

Lady Livingstone serait la survivaliste, ça lui collait plutôt bien. Hiromi  serait l’intendante : organisation et contrôle.  Kurt le cueilleur parce qu’il comptait bien faire bonne récolte des fameux arbres à bière et à whisky du mont Fuji… Jamais allemand ne fût plus fantaisiste que celui-ci.

 

Nous étions fin prêts ; motivés et en pleine forme.

« 100 000 mon bonhomme qu’arrivé au sommet tu seras une serpillière. »

« T’aurais fait quoi de ces 100 000 si tu les avais pas perdu ? » Rétorquais-je à Kurt

Nous nous avançâmes sur la piste.

Les dés étaient jetés.

 

En route !

 

CHAPITRE TROIS : la mauvaise surprise

Japon, Mont fuji, été 1937

 

Une heure de marche et je me sentais en pleine forme. Kurt commençait à suer comme un bœuf mais il ne fallait pas s’y fier. J’avais accepté le pari mais je savais que le brave homme était une bête de somme, un monstre de foire dirais-je ! Une force de la nature en tout cas.

Les filles étaient 200 mètres devant nous, pleine d’entrain et surtout forts bavardes. J’aurais bien aimé être une petite souris.

«Kurt me donna un coup de coude dans les côtes.

« J’suis sûr que Hiromi parle de toi la brindille. »

« Non. On est juste des amis. »

« Ouais » répondit-il trop laconique à mon goût.

Je jetais un œil en arrière. Le village des Hitoshi paraissait plus petit que jamais à cette hauteur. On percevait cependant toujours les traces de l’activité humaine. La fumée des cheminées, les cris lointains des enfants ou le meuglement atténué des vaches.

 

La terre trembla une fraction de seconde sous mes pieds. Je cessais de respirer. Kurt de même. Les secondes s’égrenaient.

Dans le silence…

Lorsque Kurt éclata de rire.

« T’inquiète femmelette, il ne va pas péter juste pour nous aujourd’hui ! » Il me tapa dans le dos de sa main de mastodonte. «  AH AH AH ! Grand couillon va ! »

Nous reprîmes notre route après avoir bu une gorge d’eau fraîche à la gourde.

Dix minutes plus tard la terre trembla de nouveau. Plus longtemps cette fois.

je sentis que Kurt avait moins envie de rire. Nouveau tremblement. Hiromi se figea. Nous ne parlions plus. Inquiet, à l’affut du moindre bruit. Je croisai le regard inquiet de Lady. C’est jamais bon signe quand elle est inquiète.

« Ce n’est rien. Ça doit arriver souvent. » Essaya de nous rassurer la Lady.

Un grondement monumental traversa la montagne pour remonter jusque dans nos os et notre chair. Une vibration terrifiante qui nous glaça sur place tant elle portait en elle les germes d’un drame.

D’un coup d’un seul le sommet du volcan explosa, libérant ses fumées brûlantes ainsi que des tonnes de gravats. En quelques secondes le ciel si bleu alors fut couvert d’une épaisse couche de suie. Une nuit mortelle venait de tomber sur nous.

Le grondement semblait ne vouloir jamais cesser. La colère du volcan qui se réveille nous broyait de sa force invincible. Un souffle d’air bouillant passa sur nos visages.

Nous demeurions interdits alors que la bête dégueulait sa lave incandescente qui se déversait incontinent sur les flancs de la montagne étêtée.

« Courrez, courrez pour vos vies » Hurla Hiromi qui la première venait sortir d’une torpeur paralysante.

Elle avait raison. Notre seule voie de salut, courir jusqu’au village pour récupérer notre véhicule et nous enfuir le plus vite et le plus loin possible.

« Foncez » hurla Hiromi.

Nous l’imitâmes avec pour seule pensée de sauver nos vies si fragiles à cet instant. Une chose de sûre, je le ressentais dans mes tripes, je refusais de mourir aujourd’hui.

 

 

 

CHAPITRE QUATRE: marathon men

Japon, Mont fuji en flamme, été 1937

 

Fuir à tout prix. On jetait régulièrement un œil terrorisé dans notre dos pour évaluer la progression de la lave.

Mon dieu que ça avance vite la lave. Peut être plus vite qu’un homme. Elle semblait avoir faim. Faim de nos viandes crues. Tout le sommet de la montagne était en flamme. Rien ne subsistait au passage de la langue brûlante de la nature.

 

Cette saloperie se répandait partout. Kurt voulait partir sur la droite, mais je me souvenais que part là-bas il y avait un marais où nous nous enfoncerions et finirions par y être bouillis comme des homards. On continua à descendre la montagne. Droit vers le village.

 

Les flammes de l’enfer se déchaînaient.  La lave s’insinuait partout. Elle flambait les arbres, fondait les rochers qui lui faisaient obstacle.

Kurt était à la peine. Puissant dans les efforts de fond cette épreuve de rapidité le laissait ko. Je le forçais à laisser tomber son sac qui contenait ses précieux cigares. Mais je pense qu’à ce moment précis il n’y pensait pas vraiment.

Un seul de nous qui resterait derrière et je ne m’en remettrais pas.

Les filles couraient à l’avant, repérant les meilleurs passages.

Kurt courrait mieux et plus vite sans son sac. Mais ce n’était pas gagner. Désormais la lave était à moins de 50 mètres derrière nous. Il nous fallait passer le petit pont de bois qui surplombait la rivière Ca nous laisserait un court répit.

Le paysage à l’arrière était ravagé, lunaire. Une horreur, un étouffoir, un enfer.

Heureusement nous avions enfin le village dans notre ligne de mire. Mais je craignais que Kurt n’y parvienne pas.

 

Tout n’était que feu et flammes.

 

J’avais si peur de mourir.

Les filles nous attendaient à l’entrée au village qui s’était vidé de ses habitants. Notre voiture ronronnait déjà, prête à partir.

 

Je traînais littéralement Kurt sur les derniers mètres. Je me disais que ce n’était pas la lave qui allait avoir raison de lui mais l’effort qui allait briser son cœur.

Lady Livingstone se mit au volant alors qu’avec Hiromi j’aidais un Kurt rouge cramoisi et trempe de sueur à grimper à l’arrière. Je pouvais presque sentir son cœur à l’agonie frappe aux portes de sa peau bouillante et suintante.

La voiture démarra alors que je claquais ma portière.

 

CHAPITRE CINQ : ça fume encore ?

Paris, le Moulin Rouge, septembre 1937

 

Quel plaisir de se retrouver dans un lieu connu et sans danger. Nous nous remettions sans peine de notre grande aventure. Certes nous avions eu peur mais nous n’étions pas traumatisés. Au pire éviterions-nous les volcans en sommeil dans les années à venir.

Kurt avait certes prouvé sa résistance mais le pari avait été annulé (il reconnaissait que sans mon soutien il serait à cette heure-ci toujours sur les flancs ravagés du mont Fuji ) et il n’était pas question d’en mettre un suivant sur le tapis.

Lady Livingstone s’avouait ravie de ce voyage que nous lui avions payé. Elle ne s’attendait pas à tant d’émotions fortes et tout son saoul.

Hiromi l’était tout autant. Nous étions passé à un cheveu de la mort ce qui sur le chemin du retour nous avait rapproché l’un de l’autre. Je crois bien que cette fois débutait une longue et belle histoire que nous ne transformerions pas en roman d’amitié.

Quant à Kurt…

Kurt était le plus ravi de nous tous. Toute cette fumée volcanique lui avait définitivement enlevé l’envie de remettre sur lèvres le moindre cigare. Il disait avoir eu assez de fumée jusqu’à la fin de ses jours.

1937, nous étions quatre amis qui avions échappé à la mort et la vie s’annonçait merveilleuse.

 

El Stefano

2–4 joueurs, 10 ans et +, 30–45 Min
Auteur: Wolfgang Warsch
Illustrateur: Weberson Santiago
Editeurs: Cranio Creations, Feuerland Spiele, Lacerta, Maldito Games
Super Meeple l’a traduit 🙂
29,90€ chez Philibert

1 Comment

  1. Excellent article. Super intéressante comme idée de présenter un jeu comme un  »let’s play narratif ». Bravo c’était passionnant.

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